Oublier son ex en cinq leçons faciles (la troisième va vous surprendre !)

Hazukashi
4 min readSep 20, 2019

Oublier son ex, c’est comme profaner une église. Pendant un temps on lui construit un petit autel, une petite chapelle bien douillette toute ornée de bougies pour lui vouer un gentil culte, quelque part au fond de sa tête… un lieu figé dans le temps, un mausolée vitrifié momifié, formolisé, pour éviter de se dire qu’on est amoureux d’un fantôme… A chaque fois qu’on y passe, qu’on s’y perd, on sait pertinemment que l’on est en train de nier le présent qui avance toujours trop vite.

Et puis un jour, on y retourne, et tout est en ruines. Les icônes ont été noircies, les photos calcinées, les statues fracassées, les encensoirs renversés, les voûtes effondrées, la végétation triomphe. On ne sait même plus ce qu’on était venu foutre là. On relit des mails, des conversations Facebook, et on ne se reconnait plus, ce n’est pas possible on n’a pas pu écrire ça on devait être bourré. D’ailleurs, normalement c’est bourré à 3 heures du matin qu’on envoie des messages à ses exs, non ?… Comment on a pu faire ça sobre aussi longtemps ? On regarde des photos et on se demande ce qu’on a pu trouver à ce tas de chair, à cette étrangère qui n’a aucun rapport avec vous. Vous vous mettez soudain à blasphémer le Nom que vous aviez jadis tant sacralisé.

Lorsqu’une femme débarque dans votre vie, elle y fout en général intégralement le bordel. Vous, vous étiez tranquille, dans votre routine toute desséchée d’homme célibataire, bien mécanique, optimisée, ritualisée, courses du lundi effectuées, l’after-work du jeudi cuvé, les jeux-vidéo terminés, la fonte soulevée, tout bien huilé. Une vie sans vie qui prenait gentiment la poussière. Et voilà qu’une meuf déboule, ouvre grand la fenêtre, fait tout s’envoler et vous remplit la tête de rêves et de doutes…

Vous vous désobéissez à vous même. L’illusion de contrôle s’évanouit. Vous voilà agi, embarqué, propulsé. La transformation se fait progressivement, il faut toujours un peu de temps avant de se décider à faire son sac, empaqueter deux-trois merdes, et partir de nouveau à l’aventure vers l’inconnu. On se reprogramme, on recode sa matrice intérieure, on se découvre de nouveaux goûts, de nouveaux attraits. Le feu sacré au fond de votre ventre, qui n’était plus qu’un tas de braises, vient de recevoir un litre de napalm.

Une rencontre c’est une mort puis une renaissance, toujours. C’est une politique de la terre brûlée. Vous mettez le feu à toute votre ancienne existence en ricanant comme un dangereux pyromane. Comme Gainsbourg qui incinère un soir tous ses tableaux pour se consacrer à la musique… Pour repartir de plus belle, totalement exalté, un nuage de cendres derrière lui. Vous muez pour offrir à l’autre une peau toute fraîche toute neuve, pour y accueillir de nouvelles blessures. Pour en infliger également. Votre ancien vous ? Un petit garçon immature, un idiot, un illusionné, un ado attardé … Ce n’était pas vraiment vous. Vous vous êtes purifié, vous avez raclé, poncé, raboté votre personnalité, pour n’en garder que l’os. Le nouveau vous est là, nomade existentiel, transformé, prêt pour une nouvelle étape, un nouveau palier de son cheminement spirituel. Les femmes passent leur temps à faire naître des hommes.

Alors on sort de son tombeau comme Lazare, on arrache ses bandelettes, et on se fait laver la gueule par les rayons d’un soleil dont on avait oublié l’existence. On est de nouveau prêt à partir à la conquête du monde. A plonger dans ce nouvel univers que l’on a découvert juste en fixant une fille dans les yeux.

Lorsque j’oublie une ex, je fais souvent ce rêve étrange (et pénétrant), où je la vois disparaître, s’effacer dans la douleur, sortir de sous ma peau, s’arracher à mon coeur et à mon ventre… Parfois elle prend la forme d’une fleur qui se fane, parfois celle d’un chat qui s’enfuit au fond du jardin, parfois d’un coup de pelle derrière la nuque… les vieilles cicatrices s’effacent, et de nouvelles marques au fer rouge sont savamment appliquées : un nouvelle idole apparaît, et prend toute la place. Dans un rituel alchimique et confus, l’ex se transmute en future, le passé devient de l’avenir. Le lourd fardeau de mes obsessions se déverse d’un dos à l’autre. L’amour est un flambeau que l’on se transmet, comme la souffrance. Systématiquement, lorsqu’une meuf s’installe chez moi, elle amène ses plantes et transforme peu à peu mon appartement aseptisé en jungle luxuriante. Et c’est pareil à l’intérieur de ma tête.

Avec cette fertilisation spontanée de votre univers, vous prenez conscience de l’équilibre complémentaire régissant la reproduction sexuée, vous prenez conscience que seul, vous claudiquez. Vous vous rappelez soudain l’évidence : la vie est faite pour être vécue en équipe, en duo de personnalités fortes et indépendantes, mais liées par des relations symbiotiques. Quelque chose d’inexplicable, à la fois organique et spirituel.

Souvent, la réincarnation a lieu juste après la première nuit, parfois même après le premier baiser. Il faut un peu d’ADN étranger en soi pour pouvoir muter correctement. J’ai une théorie à ce sujet : lorsque vous vous accouplez avec quelqu’un, vous mélangez vos flores bactériennes, qui accueillent de nouveaux arrivants, et s’adaptent. Ces nouvelles bactéries s’ajoutent à votre être tout entier et vous modifient légèrement. Vos hormones, votre ADN s’équilibrent petit à petit au contact de votre partenaire, pour créer une homéostasie, et vous changez à tout jamais. Nous portons tous en nous les traces physiologiques de nos amours passées, définitivement.

C’est pour ça qu’on n’oublie jamais vraiment une ex, en réalité. On en garde toujours un petit morceau en soi… un petit diamant récupéré dans le tas de charbon du grand incendie de son histoire passée. Un coquillage ramassé après le naufrage. Une petite pépite d’or au fond d’un torrent de boue.

La vie sentimentale des hommes est un long et beau palimpseste, couvert d’accrocs et d’enluminures.

--

--

Hazukashi

Écrivain parisien / chef de projet numérique. Rive droite, open-space, alcool et enfers de la Start-up Nation. Contact : himboda(at)gmail.com