Marinières, baguettes tradition, confitures façon grand-mère, purées à l’ancienne, saloperies diverses produites par Michel & Augustin ou Jacquie & Michel, le Made in France est à la mode, ça oui. Le “français” en général est à la mode, d’ailleurs, depuis le début des années 2010. Changement de paradigme à 180° par rapport aux 90’s et 00’s. Enfant, je me souviens qu’il fallait être tout sauf français. On avait des zorigines, ou on s’en inventait. Les Méditerranéens devenaient instantanément Italiens, Espagnols ou Portugais, les Arabes et les Noirs, Maghrébins et Africains.
Pour les blancs trop blancs pour faire genre qu’ils venaient d’autre part que de la Somme ou du Cantal, il ne restait comme possibilité qu’une fascination pour les States et l’Angleterre, une copie de ses codes culturels et sociaux entamée en 1945 et ayant subi une accélération quantique avec internet et le délitement général de l’Europe. Cela dit, on restait bien en-dessous niveau prestige, par rapport à ceux qui avaient des zorigines.
C’était alors le temps de la vie comme dans une citation de Bernard-Henri Lévy, bien sûr, tout ce qui était terroir, béret, bourrées, binious, bref, « franchouillard » ou cocardier, nous était étranger, voire odieux. En réalité, tout le monde était identitaire, sauf les babtous, mais ça ne se voyait pas trop, encore…
Mais maintenant, retour du drapeau, d’une certaine esthétique nutritive et vestimentaire. Si les beaufs sont plus globalisés que jamais et ressemblent à peu près tous aux douchebags de Jersey Shore, les bobos parisiens semblent sortir d’une photographie de Willy Ronis. Alors, alors ? A quoi assiste-t-on ? Retour de la Tradition ? Marche arrière toute vers la Terre-qui-ne-ment-pas ? Que nenni.
J’y vois pour ma part la continuation de cette fascination, notre assimilation totale et achevée à l’empire Angle. Aujourd’hui, nous aimons, concevons, et connaissons la France de la même manière que l’Amérique l’aime, la conçoit et la connaît, à 6.000 km de distance.
Le melting-pot américain a comme tout empire, la particularité de transformer toute culture en folklore caricaturé et superficiel, exactement comme la France a fait jadis avec ses régions.
Comme ces Irlando-Américains qui s’habillent en vert et qui se bourrent la gueule pour la Saint-Patrick parce que c’est ça pour eux être Irlandais quand on n’a jamais foutu les pieds de sa vie dans le Connemara (Terre… brûlée…. au vent… ça y est ma journée est flinguée.).
En grandissant, j’ai découvert la France en tant que particularisme culturel grâce aux séries et films américains. Et j’ai découvert un peu plus tard que cette culture particulière se résumait à quelques éléments de pop-culture au sein de la culture occidentale. Grosso modo, du luxe, de l’amour, de la bouffe, de l’arrogance et de la lâcheté. De quoi faire deux-trois clins d’oeil et références dans un épisode des Simpsons ou de South Park, quoi.
Nous ne connaissons de la France que la marinière, le béret et la moustache, qui sont pourtant des clichés obsolètes ramenés en 1946 par les G.I. basés à Paris qui ont découvert les hipsters locaux.
C’est un peu comme si nous imaginions les Américains habillés en beatniks du Greenwich Village des années 50. Quelqu’un sait-il encore ce qu’est un Beatnik ? Encore mieux, c’est comme si les Américains eux-mêmes s’envisageaient comme ça parce que nous les aurions représentés comme ça dans Julie Lescaut ou L’Auberge Espagnole..
La plupart de mes congénères seraient aujourd’hui bien incapables de me dire pendant quel siècle (siècle, hein, pas année) ont vécu François Ier ou Henri IV, et de me citer ne serait-ce qu’un fait historique majeur pendant leurs règnes. Même résumer la vie de Napoléon est totalement hors de propos. Et je parle de diplômés de Sciences Po, hein, de fils de producteurs de télé, de fils de médecins.
Ils ont un drapeau français sur leur profile pic, ils ne savent même pas ce qu’il signifie, quand le plus dégénéré des hooligans anglais à bourrelet de nuque connaît par coeur l’Histoire de l’Union Jack.
Comme la lumière d’une étoile morte nous parvenant avec des années de décalage, tout ce qu’il reste de la culture française en France, c’est le reflet de clichés américains périmés à notre sujet. Des croissants et des mimes. De la bouffe grasse et des marinières. Seuls patriotismes qui ne nous ramènent pas invariablement aux Nazis. Nous ne sommes plus que des gens avec un accent, comme de simples provinciaux du monde.
Baudrillard aurait d’épouvantables crises d’angoisses aujourd’hui: nous sommes devenus une société de simulacres de simulacres. Une copie d’une copie d’une copie… Nous jouons à être le reflet du reflet qu’il y a dans les yeux d’un Américain lorsqu’il pense à la France.
L’élite du pays plane à 10.000. Je viens de lire dernièrement un tweet expliquant que le théâtre était le fer de lance de la suprématie culturelle française. Quelqu’un ici connaît des gens qui vont au théâtre en 2017, à part des étudiantes en lettres modernes qui finiront vendeuses chez Sandro ?
Dans les films de Tarantino au cinéma, ça applaudit dans le public quand ça parle français, alors même que ça ne montre que des putes (Django Unchained), des péquenauds à béret-moustache (Inglourious Basterds), ou des frites à la mayonnaise (Pulp Fiction). En club, des mecs qui viennent de Mayenne ou de Lozère s’habillent en thugs, et commandent des Cognac-Canada Dry en étant persuadés d’être hype, parce qu’ils ne boivent pas un alcool de vieux céfran, mais ce que boivent les gangsters afro-américains pour faire exotiques (et pour se différencier des rednecks buveurs de Bourbon)… Abyssale ironie.
Je ne blâme personne. Lorsque je suis face à des Américains ou des Anglais, je suis le premier à invariablement surjouer mon accent et mes postures, à rentrer avec plaisir dans le rôle qu’ils attendent de moi. Je tiens bien haut ma cigarette et mon menton, j’ai des sourires méprisants, je bois du rouge… Vu de l’extérieur, ça doit être dégoûtant à regarder. La case de l’oncle Jean-François.
Ce matin dans le métro, j’ai croisé un blanc habillé en citoyen de South Central, Air Jordans et baggy XXL inclus. Il avait une casquette de basketteur à visière plate, sur laquelle était écrit “savoir-faire”. Savoir-Faire. Seuvwouâh faywe… Il devait sans doute être natif de Gif-sur-Yvette, son apparence et ce que je voyais de sa personnalité avaient l’air tellement randomisé qu’il aurait suffit d’un clip Vevo pour qu’il se métamorphose en néo-gothique résidant dans le Larzac et portant des tatouages de marins de la Royal Navy du XIXème siècle.
Dans un de ses pamphlets interdits, Céline pensait qu’il faudrait imposer aux Français une cure de quinze ans au pain sec et à l’eau pour redresser le pays, mais c’était fondamentalement un optimiste.
Originally published at hazukashi.fr on December 1, 2015.