Avis aux réactionnaires de tout poils, aux nostalgiques et autres passéistes: remerciez notre obscène société postmoderne de vous pourvoir en confort et en sécurité jusqu’au dégout. J’aurais adoré que vous eussiez vécu au XVIIIème siècle, j’aurais ainsi pu vous observer agonisant dans la boue, le visage cloqué de bubons noirs, buvant l’eau croupie de la rivière d’à coté, saumâtre à force de charrier cadavres et excréments. A moins d’être dotés d’une constitution de chevalier teutonique, il y a fort à parier que vous n’auriez pas passé l’hiver.
Nous vivons une époque arcadienne. Par arcadienne, je fais référence à l’Arcadie, symbole mythique et pastoraliste d’un « retour à la terre », aux vraies valeurs, genre« je mange des fourmis et je me torche avec une feuille de bananier ». Cette notion s’oppose à l’époque utopiste, ou progressiste, suivant la connotation que l’on voudra y donner, en vogue entre 1945 et 1975. Pendant les Trente Glorieuses en somme. Ces deux termes traduisent la mentalité globale d’une époque, et si elle se tourne vers un lointain Âge d’Or ou vers un futur utopiste. A la manière d’un cycle Kondratiev, ces deux tendances alternent au cours de l’Histoire, suivant les périodes de croissance ou de crise, de confiance ou de récession.
Ainsi, nul besoin de le démontrer, notre époque est tournée vers le passé, et notre génération est nostalgique d’un temps qu’elle n’a jamais connu. Nous sommes tous habillés en vintage, faisons semblant de vivre dans les 80′ et les deux mots de notre décennie sont « authentique » et « à l’ancienne ». Partout dans les supermarchés, il n’y a que des « recettes façon grand-mère », « à ma façon », « à l’ancienne », avec papier kraft, logos adéquats et esthétique réaliste type années 1950.
Notre Âge d’Or, c’est la seconde moitié du XXème siècle, vous l’aurez compris. Pendant cette même période, au contraire, le monde occidental était tourné vers l’avenir, les idéologies poussaient vers un futur à base de costumes argentés, de voitures volantes et de pistolasers. On s’enorgueillissait de porter des matières synthétiques, et le moindre petit boulanger de province changeait son enseigne et transformait son échoppe en « compagnie industrielle de boulangerie ».
Aujourd’hui, Paul, pourtant compagnie industrielle géante de boulangerie se veut « artisan boulanger depuis 150 ans ». Et présente même une vitrine à travers laquelle l’on peut admirer boulangers et marmitons s’activer à leurs fourneaux, dont on a du mal à croire que la production stakhanoviste visible sur les étals est le résultat de leur apparent travail amoureux et mesuré. Et l’on pourrait en citer des dizaines d’autres, tant sont nombreuses les niches « arcadiennes » dans la communication: développement durable, agriculture biologique, valorisation d’un « savoir-faire de tradition », bref, on respecte les valeurs de Grand-Mère (qui sait faire un bon café) et de notre mère la Terre (qui elle ne ment pas, nous rappelait brillamment notre cher Maréchal).
Ces dispositions au retour vers le passé ne se limitent cependant pas au monde gastronomique. Musicalement, par exemple, le contraste est encore plus drôle. Jamais la musique populaire ne s’est autant voulue rebelle, et jamais elle n’a été aussi conservatrice, normative et classique. Le rock et l’électro ne font que pomper laborieusement les années 60 et 80 respectivement, alors même qu’ils n’en ont jamais été aussi loin dans la démarche. Le rap quant à lui, musique populaire par excellence, résume parfaitement l’époque: Fini la rébellion, on ne veut plus changer de système, on ne crache plus sur la religion, on ne montre plus ses fesses dans la rue. Non, on défend un modèle réactionnaire, traditionnel et patriarcal méditerranéen, on est religieux, droit, carré, on veut que ses sœurs « soient les mères de demain », et par dessus tout on veut rentrer dans le système, s’y faire de l’argent, entrer dans une logique ultra capitaliste pour avoir des biatchs et de grosses cylindrées.
Réactionnaires, vous n’êtes pas marginaux, vous êtes la mode, la hype, et si vous êtes politiquement incorrects, c’est uniquement face aux vieux barbons soixante-huitards d’ S.O.S. Racisme, comme pouvait l’être en 1969 et face à son père un jeune portant blue-jean’s et cheveux longs. Les vrais réactionnaires sont alors finalement et paradoxalement, les nostalgiques des grandes idéologies, genre socialisme ou communisme, les ex hippies, et autres militants, les droitsdel’hommistes, eux aussi tournés vers le passé et so XXème siècle…
Originally published at hazukashi.fr on June 17, 2010.