Le Moyen-Âge Technologique

Hazukashi
8 min readApr 28, 2019

En 1914, nous étions encore des sauvages comme les autres. Nous envoyions crever des gosses de 16 ans fanatisés après leur avoir bourré la gueule à la gnôle, comme de bons petits enfants-soldats Angolais. Lors d’une victoire, nous entamions la danse sacrée autour du drapeau Français, ou bien nous chantions la Marseillaise assis au pied de l’arbre à palabres, au son des djembés. Nous étions des Pygmées, des Papous, des Tartares, des Arumbayas, des cannibales avec des os dans le nez, nous pensions en tribu, et nous crevions d’envie de mettre la hagra à la tribu d’à coté, pour prendre ses terres, violer ses femmes et faire bouillir ses enfants. Nous étions pire encore qu’une bande de primitifs mal dégrossis du genre de ceux que l’on ne rencontre qu’au fin fond des plus épaisses et impénétrables jungles: nous étions persuadés d’avoir atteint le pinacle de la civilisation, alors que nous venions de chuter tout au fond de la barbarie.

Être Occidental, c’est un phénomène très récent, dans l’Histoire de l’Occident. C’est Adolf Hitler qui nous a fait sauter le pas. En jouant d’un coup toutes les cartes « nation », « ethnie », « race » et « tradition » qu’il avait dans la main, dans le grand jeu de cartes Yu-Gi-Ho ! de l’Histoire, et en perdant la partie tout de suite après, il a cramé dans un grand bûcher tout ce qui restait de tribalisme en Europe et qui enflait en panaris depuis le XIXème siècle, boursouflé par une science très mal maîtrisée et des théoriciens nationalistes vaseux. Il a annoncé aux Chrétiens que leur passion pour la race les avait menés à l’apocalypse, et aux Juifs que leur Dieu-Tribu n’avait pas hésité une seconde à les précipiter dans l’abîme.

Depuis, nous sommes des Occidentaux, c’est à dire des individus. Plus personne n’a envie de mourir pour des notions bêtes comme la France, Jésus-Christ, la laïcité ou le Parti Socialiste. C’est ce qui fait notre force. Nous avons gagné le privilège de ne plus devoir mourir pour aucune idole que ce soit, de ne plus avoir à nous sacrifier, en offrant le plus gros sacrifice humain du game entre 1914 et 1945.

Il suffit de se balader à Verdun pour réaliser que nous foulons la scène d’un gigantesque Aïd el-Kebir rassasiant tous les Allahs du monde pour de nombreuses années lunaires encore... Vu la taille de la pile de cadavres qui s’étale de France à Pologne, on aurait pu supposer que les Dieux du Carnage nous fouteraient la paix pour l’éternité, dorénavant… Que les Molochs et les Quetzalcoatls que nous nous fabriquons pour justifier nos pulsions seraient apaisés…

Et pourtant… Et pourtant nous redevenons des sauvages tournicotant autour d’absurdes totems, assoiffés de sang et de sacrifices comme dans Cannibal Holocaust. Cinquante ans après que des hommes aient marché sur la Lune, nous replongeons avec avidité dans les croyances les plus arriérées…

Les interdits alimentaires reviennent. Le son de fusils d’assaut se fait à nouveau entendre dans les rues. Adolf Hitler a été divinisé en nouvelle figure satanique (la croix gammée a aujourd’hui la même valeur qu’un crucifix inversé au Moyen-Âge, essayez d’en arborer une en soirée, vos convives feront la tête de Jacquouille la Fripouille devant la sorcière de Malecombe). On meurt pour un dessin publié dans un journal qui représente quelque chose de tabou. La dissociation corps-esprit et le dualisme font leur grand retour, ces fables pour enfant qui supposent l’existence d’une âme comme si nous étions habités par des fantômes… Même dans les milieux universitaires, on nie avec orgueil les postulats biologiques les plus basiques, comme si tout le monde avait arrêté les cours de SVT à 12 ans.

Des hordes de flagellants fanatisés hurlent dans la rue en prophétisant l’apocalypse climatique, l’effondrement économique, le Grand Remplacement, s’accrochant avec ferveur à l’idée rassurante d’une Fin du Monde imminente, mais certaine. Des moines-soldats illuminés vont faire des carnages dans des salles de concerts ou des mosquées. Des hystériques bariolés vocifèrent que l’individu se définit par ce qu’il veut être.

Le tribalisme renaît, dépasse le tristement célèbre communautarisme qui gonfle en France depuis les années 80. On plonge dans le racialisme à l’américaine, on se définit selon ce qu’on est, plus selon ce qu’on fait : noir, blanc, darkskin, afrofem, babtou, lightskin, patriote, tounsi, dyadique, royaliste, neuro-atypique, anti-sioniste, hijabi, misandre, incel, féministe intersectionnel, catholique, non-binaire, brony, musulman modéré, facho… Defend Europe, Ligues de Défenses Noires, Juives, Antispécistes… Comités contre l’Islamophobie et pour le Salafisme, White Flight, ghettos… Le hip-hop, bande originale de la France capitaliste depuis les années 90 forme un long poème, épique et cohérent, à la gloire de la tribu, de la caste, de la famille, de la race. Un chant martial résonnant depuis cités et faubourgs, annonçant la hagra générale qui vient, la mise en concurrence globale, la guerre des gangs définitive de tous contre tous, quelque part entre Mad Max, Les Affranchis, et Wall Street .

Dans ce monde post-chrétien, ce sont de nouveaux mythes qui fondent la société depuis 1945. Comme dans American Gods, les anciens et les nouveaux Dieux s’affrontent. Jésus-Christ, Abraham, Allah, Marx et Aryen combattent Transhumain, AfroFem, Non-Binaire, Illuminati et Nihilisme.

Nous n’avons plus besoin des Dieux, mais tout le monde fait comme si, s’en invente sans cesse de nouveaux, raccroche les petites roues à son vélo intérieur. Retour du refoulé, régression infantile, reculade intellectuelle, reflux cortical… Il suffit de passer 5 minutes sur les réseaux sociaux pour se rendre compte de l’effondrement radical des capacités cognitives des Occidentaux en l’espace de seulement quelques années. Impatience, immaturité, fautes de syntaxes, absence de curiosité, préjugés, croyances, racismes, fierté déplacée, mépris pour la différence, la génération Z est l’étendard autosatisfait de la décivilisation en marche. Les 18–24 ans pensent majoritairement qu’une femme doit rester vierge jusqu’au mariage. Une bonne moité d’entre eux est créationniste et ne jure que par une morale traditionnelle familiale brutale et verticale. On se croirait au fin fond de l’Alabama.

Allez-y, faites un tour sur Twitter, Insta, Snap… Contemplez ce mélange de paresse et de vanité caractéristiques. On existe en se mettant en valeur physiquement, en prenant une pose arrogante voire menaçante, et c’est tout… Garçons comme filles n’ont comme but que d’afficher des symboles physique de personnes fières de ce qu’elles sont. « Vous allé strictement rien faire. »… « Mon tel m’a trouvé fraiche ajd. » … « Je pose ça la les rageux don’t @ me »… Avec cette espèce d’inconscience orgueilleuse, comme un guerrier papou maquillé qui fait des grimaces terribles en paradant, persuadé d’être un élu des Dieux, sans réaliser qu’il se rend ridicule, que le soldat anglais en face de lui a un fusil. Et puis on s’indigne collectivement, hystériquement, pour montrer son adhésion au clan. On s’engorge de la pire mauvaise foi tant qu’il s’agit de défendre la horde… Ils ne se rendent pas compte… Des guerriers papous. Des guerriers papous agrippés à leurs hochets.

Nous aurions pu accéder à une forme inédite d’humanité, mais non, il a fallu que nous replongions dans un nouvel Âge Sombre, afin de nous emmitoufler à nouveau dans la croyance, la religion, et le tribalisme… Pas à pas, de pied ferme, nous redevenons des brutes.

Lorsque Constantin se convertit au christianisme en 312 après J.-C., il fait passer tout l’empire romain dans une autre civilisation d’un seul coup. Et cela va ensabler l’Occident dans un sommeil intellectuel de mille ans. Des philosophes grecs qui avaient envisagé la libre-pensée, l’athéisme et les atomes, on passe aux théologiens ergoteurs qui ne parlent que du Christ… On entre dans le Moyen-Âge, un monde où la vie intellectuelle se rabougrit, où la brutalité explose, mais où paradoxalement les évolutions techniques et scientifiques sont fulgurantes : arbalète, charrue, imprimerie, poudre, moulins à eau, mécanique, lunettes de vue, astrolabe, architecture gothique, trébuchet, horloge, constructions navales… La masse est inculte, superstitieuse et soumise, le savoir classique maigrement protégé par quelques moines reclus, mais le monde n’a jamais avancé aussi vite…

Aujourd’hui c’est pareil. Nous basculons en plein Moyen-Âge Technologique. Une masse de serfs, esclaves d’open-space, croupit dans l’asservissement et la bêtise. Les lettrés, scientifiques et savants, repliés dans des monastères, seuls gardiens du savoir. De plus en plus spécialisés, comme des ordres monastiques, incapables d’être compris par le quidam ou par leurs factions rivales. Un biologiste et un physicien n’ont plus rien à se dire aujourd’hui, ne peuvent même plus se comprendre, tant leur champs respectifs se sont éloignés. Pendant ce temps les chevaliers des baronnies entrepreneuriales et duchés économiques s’entretuent pour des parts de marché. Les journalistes forment un nouveau clergé, jacassent à propos de concepts moraux, de ce qu’on peut dire ou non, et prêchent la bonne parole, expliquent ce qu’il faut penser, sont totalement sortis de leur rôle initial : informer. Dorénavant, ils décodent le réel, de la même manière qu’un curé explique la Bible à ses ouailles. On remarquera d’ailleurs leur absence d’intérêt pour l’actualité scientifique. Leur seul bagage intellectuel est purement religieux : actualité politique, sociologie, pop-culture.

Les énormes avancées scientifiques et technologiques de pointe vont si vite qu’elles nous dépassent. Nous sommes partis si hauts que la base a définitivement perdu le contact et a régressé en s’empâtant dans les croyances et les doctrines. Islam, Illuminatis, interdits, privilège blanc, chemtrails, gender studies, complots sionistes. Des règles absurdes génératrices de cadres rassurants pour des populations complètement larguées, incapables de comprendre la théorie de l’évolution, les ondes gravitationnelles ou les cellules-souches. Comme un serf baragouinant du gascon ou du picard, à genoux devant une statue de Saint-Bidule, incapable de comprendre le moine maîtrisant les classiques grecs et latins, lui-même incapable de saisir le monde qui l’entoure.

Résultat des courses : je devrais être sur Mars, en combinaison fluo, à me battre au pistolaser contre Jabba le Hutt ou les Space Marines du Chaos, et me voilà obligé d’assister à des débats sur la Manif Pour Tous, la non-binarité des genres, la dernière outrance de Marine Le Pen, le halal, l’excision comme tradition culturelle, l’esclavage révolu depuis 200 ans chez nous. Mon avenir aurait du être Interstellar, et me voilà perdu dans Le Nom de La Rose. A discuter du sexe des anges, à perdre du temps pendant que la Silicon Valley et la Chine s’envolent vers le futur. J’ai l’impression d’être Sean Connery qui explique à de vieux bossus superstitieux que non, le rire n’est pas diabolique.

Je vous dois une confession : je suis un homme de droite. Depuis mes douze ans, je crache dans les bénitiers, je traite les curés de suceurs d’enfants quand je les croise dans la rue, je soulève les robes des bonnes soeurs, je cours après les femmes pour arracher leurs voiles, je joue au Frisbee dans des mosquées avec des tranches de jambon, je fais des blagues douteuses comportant les mots « rabbin » et « gaz », j’écoute du black metal lorsque Notre-Dame brûle. Je ne me laisse dépasser par aucune doctrine, impressionner par aucune croyance, engluer dans aucun respect. Je suis un mec sain et tolérant, quoi. Un individu, un homme libre. Un adulte.

Je crache sur toutes les idoles car je vois des veaux d’or partout. Rien n’est sacré, la transcendance n’existe pas, le Roi est nu, et lorsque toute la matière de l’univers se dissoudra dans le vide, d’ici quelques milliards d’années, plus personne n’en aura rien à secouer de ces balivernes. Je suis agacé de voir des gens jouer du tam-tam autour du feu, partout, tout le temps.

Comme le disaient mes ancêtres Vikings dans quelque saga : « Nous autres camarades ne sacrifions pas aux Dieux. Nous n’avons pas d’autre croyance qu’en nous-mêmes et en notre force et capacité de victoire, et cela nous suffit amplement. »

Un Individu comme moi, rationnel et post-moderne n’a aujourd’hui plus rien à dire aux masses fanatisées : je n’ai rien à apprendre ; et elles ne déposeront certainement jamais leurs précieux collages d’idées idiotes, sauf à encaisser un coup si fort que leur raison n’y survivrait pas.

“La liaison fortuite des atomes est l’origine de tout ce qui est…notre intelligence vient donc de nos sens”.

Démocrite

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Hazukashi

Écrivain parisien / chef de projet numérique. Rive droite, open-space, alcool et enfers de la Start-up Nation. Contact : himboda(at)gmail.com