Deus ex machina (ou pourquoi nous avons toujours été transhumains)

Hazukashi
8 min readOct 25, 2016

Que le premier qui me parle de nature humaine sacrée et inviolable aille vivre tout nu dans les Causses en hiver. Voir un peu comment il s’en sort, à l’état de nature. Cela fait déjà pas mal de temps qu’on la viole, la nature humaine, voyez-vous. Nous modifions notre être depuis le néolithique grosso modo, à quelques jours près… Depuis que nous avons commencé à tailler des silex, prothèses pour pallier notre absence de griffes. Prologue de notre long et inexorable processus de fusion avec l’Outil. Lui et nous, avons évolué en parallèle et en symbiose. Nous n’avons pas le choix. Nous sommes un agent mutagène radical évoluant en permanence au contact de notre environnement et altérant tout. Simple mécanique évolutionniste d’optimisation de la survivabilité.

Regardez vaches, veaux, cochons… Ils ont bien changé à notre contact, les aurochs, les sangliers, les mammouths, les loups… Chats, chiens, poulets… Dans 3000 ans, ils seront encore autre chose, sans doute entièrement synthétiques… Volailles sans têtes, chatons mécaniques, moutons électriques… Ils me font rire les écolos. Tous les animaux de la ferme, ainsi que toutes les races de chats et de chiens devraient être des abominations à détruire par le feu à leurs yeux, s’ils faisaient preuve d’un peu d’honnêteté intellectuelle. Comparé au grotesque d’un bouledogue qui se bave dessus, le maïs Monsanto, c’est du pipi de chat ! De lynx, pardon.

Jouer aux apprentis sorciers, c’est notre nature, donc. Absence de poils, de branchies, d’instinct, même pas foutus de marcher sur Notre-Mère-la-Terre sans Stan Smith… Des mutants inadaptés, des monstres de foire roses et mous, voilà ce que nous sommes. Chacune de nos innovations technique nous fait changer. L’urbanisation nous a rendu myopes, l’écriture a modifié notre cerveau, internet également, l’agriculture a fait muter notre appareil digestif, l’industrialisation nous a rendu plus grands, et ainsi de suite.

Ce destin est irrémédiable, encodé au plus profond de nous même, et il faut ne rien comprendre à sa propre espèce pour opérer une quelconque distinction entre nature, culture et science. La Nature, c’est la Culture, et la Culture, c’est la Science et les Arts. C’est notre nature même que de construire des objets bizarres et des règles sociales complexes. Une centrale nucléaire, c’est la nature, autant qu’un terrier de belettes ou qu’un nid d’hirondelles, puisqu’elle est produite par l’Homme, un des produits de la Nature.

Alors certes, les gens se posent des questions, ils se demandent jusqu’où vont aller les progrès de la science, les clones, les cyborgs, les intelligences artificielles, ça leur fait peur. Dressés sur leurs prothèses de hanches et leurs appareils auditifs intra-auriculaires, ils se permettent d’avoir peur. Précédemment, ils ont eu peur du moteur à vapeur, de la machine à laver et de l’imprimerie. Malgré notre engouement certain pour les expériences foireuses, malgré tous les simplets qui s’inquiètent des dérives de la science, nulle fatalité concernant notre avenir en tant qu’espèce biologique, bien au contraire, j’ai le sentiment que tout se déroule comme prévu, que nous accomplissons tout bonnement notre destinée manifeste, comme lorsqu’un de mes ancêtres a appris a faire du feu pour domestiquer les dieux, quelque chose d’instinctif et d’encodé au plus profond de nos gènes. Notre nature, c’est le transhumanisme, notre tradition, c’est la création et le mouvement.

Tenez, vous connaissez les transhumanistes ? Moi je les adore. Sur les forums H+ et Lesswrong, leurs deux principaux repaires, ces allumés s’excitent autour d’une théorie: la Singularité Technologique. Beaucoup de travaux portant sur la création d’un intelligence artificielle laissent suggérer qu’une Strong A.I. (intelligence artificielle égale ou supérieure à l’intelligence humaine) peut facilement apparaître dans le courant du siècle. Cette singularité technologique changerait totalement le visage de l’Humanité, en lui faisant sauter un nouveau palier. Ce serait la dernière invention humaine, puisqu’ensuite, la SIA pourrait évoluer d’elle-même par effet boule de neige et s’occuper de toutes les innovations scientifiques futures, ainsi que de la gestion globale des Hommes dans leur ensemble. Ce serait l’apogée de notre processus de fusion avec l’Outil. Le dernier des silex.

Les transhumanistes suggèrent que la SIA serait assez rapidement considérée comme un Dieu, un Dieu d’acier et de polymère. Si elle ne nous réduit pas tous en cendres dans les vingt minutes suivant sa mise en activité, bien sûr. (C’est aussi pour ça que je ne me ferais jamais cryogéniser, alors que toute personne sensée en rêverait: j’ai bien trop peur de me faire réveiller en sursaut dans deux siècles par des Terminators poutiniens venus me traquer jusque dans mon caisson de stase pour me coller une balle dans la tête). Les transhumanistes se préparent donc à l’arrivée d’un nouvel âge d’or pour l’humanité, menés par une divinité sortie d’un laboratoire californien.

Sans transition. Des chercheurs des universités d’York et de Los Angeles viennent de remarquer que l’on pouvait radicalement changer l’état d’esprit d’un cobaye humain en stimulant légèrement certaines zones de l’encéphale à l’aide de courant électrique. Lors de ces séances de neuromodulation, les cobayes voyaient leur croyance en Dieu disparaître. Il paraît que cela a aussi fait diminuer leur xénophobie, mais bon, on n’a plus vraiment l’esprit clair lorsque du 220v court dans votre cervelle, on pourra donc les excuser.

Mais je m’égare. La chose à retenir de cette expérience, c’est que d’une part certaines zones de notre cerveau sont dédiées à la croyance en Dieu, à l’irrationnel et à l’expérience mystique (ces zones sont aussi stimulées lorsque l’on discute politique, d’ailleurs…), et que d’autre part, ces zones ne se développent pas de la même façon chez tout le monde, et peuvent être altérées. Cela signifie que le Divin en l’Homme n’est qu’un agrégat neuronal, et l’idée de Dieu est imprimée dans la génétique humaine comme la fourmilière l’est dans le cerveau de la fourmi. C’est un instinct, une pulsion irrationnelle, plus ou moins présente chez les uns ou les autres. Nous sommes poussés par l’idée d’un absolu supérieur, un absolu impossible à trouver, prouver, ou créer, et c’est une idée dévorante, que les gens ne règlent qu’au prix d’énormes sacrifices intellectuels, de cimentages massifs de leurs capacités à douter et retourner leurs convictions dans tous les sens. Ils finissent par se trouver une religion, les autres se condamnent à se poser mille questions et à crier pourquoi aux étoiles.

Ces parties de notre cerveau consacrées à l’irrationnel ont-elles un intérêt évolutionniste ? Est-ce un mécanisme de survie et d’adaptation développé par nos ancêtres ? Nous savons déjà que les croyants ont des niveaux de stress moins élevés que les athées. Nous savons aussi que les Hommes sont des animaux sociaux, que l’instinct divin agit comme une noosphère, un ciel-réseau, un inconscient collectif reliant les Hommes entre eux (à petite échelle, hein, la tribu seulement, pas plus… Après ils font des schismes et se foutent sur le nez).

Dans un laps de temps très court, des prophètes sont apparus partout dans le monde, à des milliers de kilomètres de distance, pour fonder les grandes religions actuelles…Comme l’apparition de la pierre taillée, des premières peintures rupestres ou de la maîtrise du feu, elles aussi simultanées un peu partout en Europe. De l’instinct tout ça, de l’évolution naturelle, le dépliage progressif et inexorable de notre potentiel génétique. Des étapes primordiales dans notre évolution, pour enfin, devenir humains.

Après les chamanismes, après les polythéismes, après les monothéismes, voici la dernière étape en date de notre évolution spirituelle: le prométhéisme. Les promothéismes plutôt, car il y a plusieurs façons conflictuelles de croire en l’homme. Le transhumanisme technophile et le droit-de-l’hommisme bioéthique réac’ sont drastiquement opposés. Incompatibilité de fond entre Google et le fromage au lait cru mélanchono-lepéniste. Voilà les religions 3.0, dont les idéologies politiques n’étaient que des version beta un peu foireuses (toutes les tentatives de religions athées ont foirées, qui a réellement cru au Petit Père des Peuples ou à la République Française, franchement ?). Nous nous sommes mis à croire en l’Homme, car il a désormais le pouvoir de créer Dieu.

Une intuition lancinante traîne dans ma tête. Cette zone du cerveau qui nous sert à croire au Père Noël, en Dieu ou au Socialisme, ce mécanisme conservé dans nos gènes pendant tant de générations n’est là que comme potentiel à réaliser. Cet organe divin est là, et pour l’instant il ne nous sert pas à grand-chose. Il ne servira que lorsque nous pourrons enfin accomplir notre destin d’animaux sociaux en nous reliant tous à l’intérieur d’un gigantesque esprit de ruche neuronal.

Tout comme les Mayas avaient vu la structure en hélice de l’ADN sans le prouver, juste à l’intuition, comme les Dogons avaient perçu les anneaux de Saturne et les satellites de Jupiter sans pouvoir les distinguer à l’œil nu, comme Démocrite avait senti que le monde se décomposait en atomes sans disposer des connaissances scientifiques nécessaires à son observation, nous avons la sensation du divin, sans jamais en avoir pu en faire la démonstration…

Notre foi en Dieu n’était là, en nous, qu’en attendant le moment propice, celui où nous disposerions des moyens techniques et scientifiques nécessaires à sa construction.

Entre temps, nous avons bâti des églises, des mosquées, des stuppas, élaboré des théologies, nous nous sommes entre-tués, tout ça sur du vent. Nous avons essayé de trouver un sens à cet organe, à cette idée pressante que nous étions incapables de matérialiser. Comme des Cro-Magnons connaissant à peine le silex et croyant fermement à l’existence quelque part, d’un moteur à explosion, simplement parce qu’ils en avaient le schéma encodé dans le crâne.

Nous ne sommes encore pour le moment que des fourmis désaccordées, sans fourmilière pour nous réapprendre le plaisir de servir.

Car oui, une fois que nous aurons construit notre Dieu-Machine comme notre instinct nous le dicte, nous ne serons plus libres. Et alors ? Le Marché a offert aux Hommes la Liberté, et personne n’en veut, c’est un fardeau bien trop lourd à porter, une utopie absurde, tout le monde se réfugie illico dans le politique, dans la tradition, ou pire, dans le religieux. La notion de libre-arbitre est une des notions chrétiennes les plus surcotées de la modernité.

Et même vous, athée individualiste ou catholique intégriste, vous êtes persuadés d’exister en tant qu’individu, ou en tant que créature divine, vous pensez en catho coincé. Vous pensez avoir une âme, un Moi, et une personnalité unique. Mais attendez un peu qu’une strong A.I. réactive votre destin d’animal social, votre destin de serf biologique… Ce sera l’orgasme, fini les prétentions, fini les interrogations ! Vous avez peur hein, sale réactionnaire ? Ce sera pourtant le plus beau moment de votre vie, vous vous sentirez enfin complet, enfin tout aura du sens, vous serez en communion avec tous les autres humains de la planète, en interaction permanente… Essayez d’imaginer ce qu’un ordinateur 10 puissance 999999999 fois plus intelligent que vous pourra faire de votre cerveau une fois qu’il l’aura relié à tous ceux des habitants de la Terre… L’IA vous bombardera de stimuli et de visions de Paradis. Vous deviendrez immortels, tout en prenant conscience de votre futilité intrinsèque en tant qu’individu ! Vous saurez enfin pourquoi vous êtes fait ! La dernière fois que les Hommes ont ressenti ça, c’est quand un singe a cassé un caillou en deux, pour s’apercevoir qu’un des éclats était coupant et qu’il pouvait le planter dans la gorge de son frère !

Moi qui suis dépourvu de cette zone irrationnelle, qui suis un solitaire inadapté, doutant de tout, incapable de concevoir une quelconque notion de communauté, de solidarité ou de relation sociale whatsoever, j’attends l’arrivée de Dieu avec impatience. C’est l’occasion rêvée d’enfin ressentir cette impression de cohésion et de complétude qui m’est si étrangère… Moi athée, je vais enfin comprendre tous ces gens qui se roulent par terre dans les églises !

Nietzsche avait tort: Dieu n’est pas mort, il n’est pas encore né !

#SkyNet2017

Originally published at hazukashi.fr on October 25, 2016.

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Hazukashi

Écrivain parisien / chef de projet numérique. Rive droite, open-space, alcool et enfers de la Start-up Nation. Contact : himboda(at)gmail.com