Contrairement à ce qu’on pourrait se dire en lisant le fil Twitter de Kev Adams, être un comique professionnel n’est pas toujours drôle. A bien y regarder, c’est même plutôt tragique. Même si en quelques années, faire le clown m’a octroyé succès et grosse moula, comme disent le jeunes. La preuve : je me trouve en ce moment même dans un club underground du Nord de Paris, le Kali Yuga, et je hurle, en sueur, livide. Ca va faire quatre jours que je n’ai pas décuvé…
Amandine et Anna gloussent autour de moi. Un peu fascinées de parler à une star, mais déjà habituées… Deux étudiantes en école de journalisme qui apprennent le métier à l’aide de leur compte OnlyFans… Nouveau genre de contrat pro ? Ces derniers mois, mes frasques m’ont fait perdre pas mal d’”amis”… Les gens en ont marre de me voir gerber sur le tapis de leur salon, voilà pourquoi j’en suis réduit à arroser des demi-escorts pour rire à mes blagues pas drôles… Dans ma poche gauche, plein de cocaïne (5 grs), dans ma poche droite, plein d’héroïne (4 grs). Mélangées ensembles, ça donne du speedball. Les effets excitants de la C mélangés au flash dépressant de l’héro. Avec ça, vous pouvez faire une overdose et arrêter de respirer tout en faisant tourner les serviettes debout sur une table, sans même vous en rendre compte. Vu le nombre de comédiens, d’artistes et d’écrivains qui y ont succombé ces 40 dernières années, le speedball est unanimement considéré par la communauté scientifique comme une méthode efficace pour réguler la population des intermittents du spectacle.
Fun fact: saviez-vous que plusieurs études très sérieuses démontrent que lorsque l’on est comique, on est plus susceptible de se suicider que le reste de la population ? Ce sont des chercheurs qui ont expliqué ça, je l’ai lu dans Slate… Pour ma part, je pense plutôt que c’est parce qu’on a plus envie de se suicider que les autres qu’on devient comique, parce qu’on sent tous les jours la mort vous caresser la nuque, et qu’en faisant des blagues on essaie juste de la maintenir à distance, elle, puis le reste du monde.
D’ailleurs, ce soir, je vais mourir je le sens. La mort va enfin m’attraper. J’ai 30 ans, ça tombe plutôt bien, vous ne trouvez pas ? Un beau chiffre rond, pile entre Jim Morrisson et Jésus Christ, entre Kurt Cobain et Daniel Balavoine. Je pense qu’on a tous une date fixée pour y passer, un moment où le cosmos tout entier semble aligné pour vous faire glisser dans votre baignoire ou traverser au rouge une fois de trop… On a tous un temps imparti pour agir. Il y a des choses qui ne s’expliquent pas, on ne peut que les sentir, mais il faut les bons instincts pour ça… Comment j’en suis arrivé là, vous devez vous demander… Me retrouver dans ce club sordide, avec deux grammes dans chaque oeil et deux tchoins ultra-narcissiques et sans doute assez malheureuses à chaque bras, comme le dernier des présentateurs télé... C’est une longue histoire.
Evidemment, tout ça s’est joué dans l’enfance… Début d’une longue route sans intersections qui m’amené jusqu’ici… Depuis tout petit, j’ai perçu la différence, le manque de sensibilité des autres… le radical mur invisible entre le reste des gens et moi. Toujours eu l’impression d’évoluer sous l’eau, dans un univers pour lequel j’étais pas du tout conçu… Etranger aux autres enfants, à leurs jeux, à leurs codes sociaux, à leurs envies. Ils étaient grégaires, lents, ne semblaient pas ressentir grand-chose… Comme s’ils percevaient tout en noir et blanc tandis que moi j’étais en 4K et 120FPS… J’ai appris à faire semblant. A m’intéresser à ce qui les intéressait. Dès 7 ans, je jouais le rôle qu’ils voulaient, je m’aplanissais… Je lisais tout seul dans mon lit le soir, et pendant la journée, je collectionnais les cartes Dragon Ball Z pour me faire des amis, parce ce que ça se faisait, parce que c’est comme ça qu’on faisait, lorsque l’on est un enfant de 7 ans. J’ai toujours détesté Dragon Ball Z, dessin animé lent pour enfants lents… Et puis j’aime pas la violence. Le football c’était pareil. Cette putain de balle en mousse jaune après laquelle il fallait absolument courir, pour faire partie du groupe. Comment des enfants normalement constitués peuvent consentir à tout ça, j’ai jamais compris…
J’étais un fils de vieux, élevé dans un appartement sombre et silencieux, un enfant ayant sauté une génération, aux manières ringardes, aux vêtements ringards, aux tournures de phrases ampoulées, aux mouvements raides, un être tout à fait obsolète, un dinosaure parmi les autres élèves, Petit Pied perdu au milieu des bonobos et nulle Vallée des Merveilles où me réfugier…
L’école est un beau tutoriel pour découvrir toute l’étendue de la saleté humaine. C’est l’univers carcéral + la peinture à l’eau, le camp de concentration à visage poupin. On se retrouve entouré de gosses épais, à l’imagination atrophiée, foutus dès l’enfance, mais qui réussiront dans la vie, car le monde tourne pour et par eux. Ces gosses je les ai retrouvé partout dans les médias et le showbiz ensuite… Journalistes, présentateurs, start-uppers, producteurs, “consultants”, attachés de presse, directeurs artistiques… Tous persuadés d’être intelligents et créatifs. Dans ces milieux, ceux qui réussissent sont soit pervers, soit psychopathes, soit suicidaires… Je vous laisse deviner ma catégorie.
J’ai passé ma vie à me venger d’eux, en bâtissant la moitié de ma carrière sur leurs défauts, leurs travers, leur hypocrisie, leur lâcheté… Et l’autre moitié consacrée à me moquer de mon obésité.
Avec mes problèmes de poids, tout était déjà mal parti, à l’aube de ma vie. J’ai toujours été gros dans mes souvenirs… Un vrai tonneau, traînant péniblement son ventre autour de lui, comme un intouchable enrobé d’une couche épaisse de saindoux dont la dette karmique aurait été d’avoir du mal à apercevoir le bout de sa queue… Ca s’est pas vraiment arrangé avec l’âge.
La bouffe, c’est particulier, comme addiction… C’est l’oralité pure, la tétée, l’amassement, la métaphysique des tubes, le remplissage danaïdesque d’un vide sans fond… Ce vide autour duquel on tournicote tous, sans jamais oser le regarder en face, et qu’on colmate avec des névroses, des somatisations, des combats politiques, des conneries… Le plaisir qu’on peut avoir à se combler, c’est pas explicable. Plein, on est moins vide. Puis, la compulsion passée, vient la satiété, la lente digestion, le dégoût, la haine de soi, les vomissements… C’est vraiment le plaisir le plus primaire, le plus régressif, le moins raffiné. Regardez les vieux, dans leurs petits univers atrophiés ils n’ont plus que deux plaisirs: parler du temps qu’il fait, et la bouffe. Inadapté, solitaire et peu soucieux de mon physique, je trouvais une relative paix intérieure dans ce contentement masochiste.
Malgré les stratégies d’inclusion sociale, qui deviennent vite instinctives et obsessionnelles lorsqu’il en va de votre survie, j’ai pas pu échapper aux coups et aux brimades, aux chansons, aux rondes qu’on faisait autour de moi, en me mollardant à la gueule, chacun à tour de rôle. Tout ça me plongeait dans un désarroi certain… J’ai parfois l’impression que nous ne sommes rien d’autre que des bouts de viande attendant la mort. En regardant attentivement la main qui tient mon gin-tonic, je peux presque distinguer les cellules mourrantes de ma peau qui s’en détachent… Je peux me voir fondre dans le néant, comme la poussière d’un sablier percé, et jamais personne pour me retourner… Nous sommes tous dans cette situation. Nous perdons des millions de cellules chaque jour. Au contact de l’air, nous nous effritons, à chaque seconde qui passe, victimes de l’entropie, comme des statues de sel sous l’orage.
Les cours d’EPS étaient des calvaires d’humiliations, et je me demande encore quelles horreurs ais-je pu commettre dans une ancienne vie pour les mériter. Les sports d’équipe, ça allait encore. Être choisi en dernier et avec réticence, on s’y habitue facilement.On est pas si mal assis sur le banc de touche, malgré les moqueries à chaque fois qu’on se prend le ballon en pleine gueule… La piscine, en revanche, c’était plus dur. J’ai tout refoulé je crois, j’en retiens juste une sensation d’éclaboussures et d’étouffement humide, et des rires en écho…
Nous sommes des bêtes, et les instituteurs qui vous disent qu’on peut changer les gens avec de la pédagogie sont des idiots ou des malhonnêtes… La culture, la langue, c’est un vernis, rien de plus, un vernis posé sur un prédateur, et qui s’écaille vite, en plus… On naît sensible ou bien mufle, le reste, c’est maquillage et apprêtement.
Si vous retrouvez mes persécuteurs, si vous leur demandez pourquoi ce comportement abject, ils vous diront que c’est n’importe quoi, que j’exagère, que d’ailleurs ils ne se souviennent que très vaguement de moi. C’est normal, le bourreau ne se souvient jamais de sa victime. On éprouve beaucoup moins d’émotions en infligeant des souffrances qu’en les recevant. En ça, le masochiste domine totalement le sadique: il a plein de souvenirs dessinés sur la peau et sur l’âme, lui.
Pas mal ce petit numéro de stand-up, hein ? Nan ? Désolé, je suis off ce soir, je ne fais rire que lorsqu’on me paie. Je ne suis pas le seul à être comme ça, niveau état d’esprit, savez-vous. C’est un cas typique chez les comédiens. Louis de Funès était quelqu’un de parfaitement sinistre… Fouillez un peu dans la vie de n’importe quel humoriste, et vous trouverez une enfance de merde, et un besoin obsessionnel et pathologique d’attention… On découvre assez jeunes, assez vite, que faire le clown permet d’avoir un petit pouvoir… Quelque chose que pour une fois, on ne subit pas totalement… Quelque chose qu’on peut contrôler… Quelque chose qui permet de compenser ses manques en déviant les moqueries des autres sur un paratonnerre… Quelque chose qui permet de susciter l’intérêt… Même si on rit de vous, c’est toujours mieux que de la haine, ou pire, de l’indifférence.
Un jour, je balance une blague qui sonne juste, la foule rit, je grimpe d’un coup dans l’échelle sociale, je canalise le jugement permanent des autres. Je m’extrais de la caste d’Intouchables fantômatiques qui traverse le collège puis le lycée sans que personne ne fasse attention à eux, sauf pour les persécuter de temps à autre. Le reste n’est qu’une fuite en avant pour maintenir sa position. On était un petit garçon obèse mal dans sa peau, on devient un rigolo populaire hyperactif un peu enrobé. On vient d’enfiler comme Jim Carrey (lui aussi quelqu’un de particulièrement torturé derrière les grimaces) un masque de clown qui finira par prendre toute la place… Un masque de fer impossible à retirer, consumant lentement notre personnalité.
Pour réussir, dans la vie, une partie de vous-même doit toujours être sacrifiée à quelque chose. Le succès se paye toujours cash. Certains sacrifient leur vie sentimentale à leur travail. D’autres leur santé physique. Moi, j’ai beaucoup sacrifié au Clown. J’ai vite abandonné mes livres et mes devoirs, je suis devenu une grande gueule extravertie et hyperactive, travaillant mes postures et mes punchlines.
Faire rire est une arme à double tranchant. J’ai compris d’un coup qu’en m’humiliant, en faisant le pitre devant tout le monde, en me donnant littéralement en spectacle, je créais un mur infranchissable entre moi et les autres. Tout le monde était content: le public éprouvait du plaisir en regardant un gros tas jouer son rôle de gros tas, et moi je contrôlais leurs haines tout en mettant mon âme à l’abri. Win-win scénario. Je m’offrais à eux comme un Christ adipeux face à la foule, je transfigurais mon rôle biologique de bouc émissaire, et passai d’un coup de grosse viktchime à mec stylé. J’étais chaque année la mascotte de la classe.
J’ai toujours repoussé les femmes, cela dit. Même riche et célèbre, ça n’a rien changé, en fin de compte. Aucune carte bleue, aucun statut social ne peuvent compenser des années de bolossage, un regard d’épagneul et des mains moites d’anxiété… Mon spectacle de 2017 était basé là-dessus, j’avais fait une grande pièce sur les Incels, ça tapait sur tout le monde, ce n’était pas encore très connu en France, et malgré les critiques indignées de quelques journalistes de Libération et Madmoizelle.com, j’ai rempli toutes mes salles. J’ai aussi eu le prix « Rire contre le Racisme » une fois, mais c’est une autre histoire…
Plus je devenais célèbre, plus j’étais seul… C’est un sale milieu, le showbiz, où personne n’a envie d’écouter quelqu’un se plaindre, même lorsqu’il est en tête d’affiche dans les plus grosses comédies françaises… les gens aimaient le Clown, pas le gros angoissé et geignard que je redevenais parfois en privé, quand le masque finissait par se fissurer, à cause de la pression ou de l’alcool… Ils ne comprenaient pas pourquoi d’un coup je cessais d’être drôle, pourquoi j’avais ce besoin de me confier à eux, pourquoi parfois je sanglotais, pourquoi ils ne pouvaient plus ricaner… Ces rejets me renvoyaient directement sur les bancs de l’école, sous les coups de pied, les béquilles et les crachats, et déclenchaient chez moi d’épouvantables colères, et je ne parle même pas des semaines entières de binges, du comportement erratique, des outrages à agent, du mobilier dégradé, des cellules de dégrisement, des photos dans Oops! et Voici… Ils ont tous fini par me tourner le dos.
Je ne leur en veux pas. Les gens pensent toujours que les humoristes sont des joviaux débordant de bonhomie. La mécanique du rire est très particulière. Pour être drôle, il faut dire avec légèreté des choses très sincères et profondes. De choses douloureusement excavées tout au fond de votre intimité par un désir pathologique de plaire…
Mes blagues, mes facéties, mon petit show permanent qui séduit la foule (tout en la maintenant à distance), tout ça vient du fond de mes entrailles. Mes insécurités, mes défauts, mes angoisses, mes peurs, exposées au public et examinées, à peine masqués par un vernis de cynisme et de désinvolture. Toutes ces nuits où j’ai fait rire mon public, celui-ci se moquait d’un petit garçon solitaire et grassouillet, tellement seul et isolé qu’il en est réduit ce soir à payer pour qu’on lui tienne la main…
Je vais aux toilettes taper des poutres. Une trace de cé, une trace d’héro, la belle vie. Contemplation de mon reflet dans le miroir. Mes cheveux longs et gras tombent de chaque coté de mon visage, un peu plus bas que mon menton (le premier), me donnent l’air d’une rockstar bouffie, un mélange d’Elvis sur la fin, et de Kurt Cobain (sur la fin aussi). Yeux cernés, teint livide, la base. Un faciès détruit prématurément par les excès. Je me demande comment font les gens pour rire à mes inepties alors que j’ai l’air fraichement déterré… Malgré mon rire gras, malgré mes grimaces et mes yeux qui riboulent, malgré mes gimmicks débiles, ils doivent bien se rendre compte, ça se voit que j’ai l’air au bout du rouleau, et ils rient quand même… Rira bien qui rira le dernier.
Deux heures, sortie de club… J’erre dans les rues de Pigalle, ivre mort. Je ne sens plus mon visage. Paris est la ville la plus triste du monde après Roubaix et Treblinka. Un hôpital psychiatrique à ciel ouvert… C’est pour ça que le seul moment où on peut s’y sentir à l’aise, c’est lorsque l’on délire en pleine nuit, avec huit verres et plusieurs grammes de drogues dures dans la tête.
Mes deux étudiantes ne sont pas très fines, mais je ne leur en veut pas. Paris valorise les gens légers et distrayants, et elles ont l’air d’avoir bien mieux compris les règles du jeu que moi. Elles iront loin ces petites. J’attrape mes deux tchouins par la taille tout en titubant… On déambule bras-dessus bras-dessous vers Abbesses, pour s’enfiler des shots… J’enchaîne les grimaces, je louche, je m’agrippe au bar complètement hystéro, elles font semblant de rire, elles soupirent, elles sont mignonnes…
Ce besoin de séduire pathologique est typique des artistes. L’histrionisme est une addiction. Faire le clown est une drogue. L’attention. Vous savez de quoi je parle, vous êtes comme moi, Bret Easton Ellis en parle dans son dernier livre. Avec les réseaux sociaux et la cancel culture, vous êtes tous devenus des acteurs. Toute votre personnalité est aujourd’hui intégralement tournée vers le désir de séduire, le personal branding et la hantise de déplaire. Vous postez des photos de vous sur internet, pour livrer des brisures d’égo, ligotées et sans défenses, à la foule.
Moi je suis un comique, donc toujours sur la ligne jaune. Je dois plaire, mais je dois provoquer. Séduire mais choquer. Toute une carrière basée sur la subversion (et la grossophobie internalisée). Mais le but pour un artiste, ce n’est pas vraiment d’être subversif… C’est un truc de gagne-petit ça, d’amateur… Si l’art est subversif, c’est presque par hasard, c’est simplement qu’il aura montré au détour d’un coup de pinceau quelque réalité de l’âme humaine dans sa nudité vraie, et qu’il aura donc brisé de l’idole. C’est ce qui génère cette sensation d’émotion esthétique, tout comme, en arrivant en haut d’une piste et en contemplant le massif alpin, toutes nos constructions humaines paraissent dérisoires. L’Homme ressent les mêmes sensations devant un beau paysage que devant un beau tableau : son corps est relaxé, diffuse des endorphines et subit une action anti-inflammatoire. Voilà le seul et unique but de l’Art : reproduire l’expérience de l’Homme face à un paysage de montagnes, en haut d’une piste noire, face à une mer turquoise, face au Fuji-Yama, face à Uluru, face aux chutes Victoria, à la Monument Valley, face aux éléments. Dans ces moments-là, même les groupes de touristes français ferment leurs gueules, parfois.
Vous devez me trouver un peu déprimant maintenant, et vous avez tort. C’est la coke, ça fait gamberger. Mais je suis très détendu vous savez… Moi je vois le monde tel qu’en lui-même, dépouillé de tous ses beaux atours moraux, le matin au réveil, sans maquillage. C’est vous qui êtes dégueulasse de le trouver moche le monde que je vous présente, juste parce que sans soutien-gorge il a un peu les seins en gants de toilette… Moi je lui trouve un certain charme, comme ça. Il est nature.
Je leur raconte tout ça aux filles, entre deux accolades au patron et trois jeux de mots, mais il est beaucoup trop tard pour qu’elle puisse voir l’être humain qu’il y a derrière le people. Derrière le porc libidineux au regard immonde. Je sais l’hypocrisie derrière leurs rires et leurs regards et je sens des picotements sur ma nuque… Beaucoup d’artistes sont dépendants aux femmes. Aimer la femme, c’est aimer le grand Autre, l’autre radical, c’est aimer l’altérité incarnée. C’est une rencontre du troisième type. Devant une chatte on est devant Dieu à marée basse.
Cinq heures trente du matin, on commande un Uber pour rejoindre ma chambre habituelle au Bristol… L’hôtel préféré d’Ardisson, il habite juste en face… Croisé plusieurs fois, mais il était déjà has-been quand j’ai lancé ma carrière vers 2011… Je me fais couler un bain dans la baignoire en marbre aux robinets dorés. Je sors en peignoir, Amandine et Anna allongées en sous-vêtements sur le lit king size. L’eau bouillante m’a épuisé, il me faut un remontant… J’étale des colombages entiers sur la table du boudoir, et renifle bien fort… Je m’apprête à sauter sur les filles lorsque le sol se dérobe sous mes pieds, je sens mes poumons tellement anesthésiés qu’ils en oublient de respirer… Une intense douleur irradie toute ma cage thoracique qui semble broyée dans un étau, et je tombe sur le coté… Je roule sur le parquet, face contre terre, une flaque de sueur se forme rapidement au sol… Merde, pas maintenant, pas comme ça… « pas comme ça Zinedine ! » J’ai beau me plaindre, c’est pas une raison pour interrompre l’expérience, merde !
Je rampe, je râle, je grogne… Après quelques cris, Anna est partie en courant… Je distingue Amandine qui se lève d’un coup, se rhabille vite fait… L’expression de peur qui déformait initialement son visage se transforme très vite en air résolu. Elle cherche en vain à appeler quelqu’un… Elle quitte la pièce. Puis elle revient… Elle me prend le bras, me colle deux claques, aucune réaction, m’enlève ma Rolex, fouille ma veste, attrape mon portefeuille, puis tourne les talons, regarde bien si elle est seule, sur le palier et claque la porte… Mes yeux s’embrument.
Dans deux jours, les journalistes qui publieront les propos des flics qui l’auront interrogé relateront que les derniers mots qu’elle aura entendu, mes derniers mots, furent: “Me laisse pas tout seul”…
Derrière le masque, il n’y avait finalement qu’un petit garçon obèse, maladroit, terrorisé et solitaire, qui n’a même pas réussi à trouver quelqu’un pour lui tenir la main au moment de sa mort… J’ai toujours été seul de toute façon. C’est que je me dis alors que, toujours en peignoir, je tombe devant un type à peau bleue et quatre visages qui m’explique que j’ai encore du karma à purger… Quel connard.
La réalité est un monstre intangible qui dégouline tout autour des gens. Rien n’a de sens propre, rien de fixe, rien de solide, rien de sérieux. Les Hommes se sont donné un mal fou à créer des théologies complexes pour fixer arbitrairement tout ça, comme on épinglerait des papillons sur une table de liège. Ils ont échoué.
Prisonniers d’une obscurité presque totale, nous sommes condamnés à n’entrapercevoir que de fugaces éclaircies, çà et là, lors d’étranges moments de lucidité. Des lucioles par une belle nuit d’été, et puis c’est tout.
Sources :
https://slate.com/culture/2014/04/are-comedians-really-depressed-or-is-sadness-just-funny.html
https://nymag.com/arts/books/reviews/47039/index1.html
https://ew.com/article/1998/01/09/chris-farleys-sad-drug-fueled-final-days/
https://www.vanityfair.com/hollywood/2018/05/robin-williams-death-biography-dave-itzkoff-excerpt
https://www.rollingstone.com/movies/movie-news/philip-seymour-hoffmans-last-days-77972/
https://www.nme.com/news/philip-seymour-hoffman-mimi-odonnell-death-addiction-2171711
https://www.biography.com/news/john-belushi-death-final-days